La mort dans les yeux [Ian]



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 La mort dans les yeux [Ian]

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MessageSujet: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeMer 3 Avr - 12:04


Le doc n’avait rien pu faire pour Tara, non. Tout ce qu’elle voulait c’était savoir et il n’avait rien dit. Moi, je me retrouvais avec des médocs à prendre, tenant dans la main cette ordonnance où son écriture avait griffonné des mots incompréhensibles. Oh Tara avait bien essayé de me questionner dans la voiture sur le chemin du retour. J’étais, pour ma part, resté vague, évoquant ma tension, mon manque d’appétit, ma perte de poids, même si ce dernier point était faux. Ca avait au moins eu le don de la calmer, un peu. Je voyais pourtant bien à son regard qu’elle n’était pas dupe et qu’elle soupçonnait autre chose. Autre chose que le doc et moi tentions de lui cacher.

Les jours suivants furent assez pénibles à vivre. Elle était constamment sur mon dos, à épier mes gestes, ce que je pouvais manger ou non et surtout surveiller si je prenais bien les médocs en question, médocs qui trônaient sur la table de la cuisine comme un trophée. Les premiers jours me parurent ordinaires avec ce traitement mais ensuite, je finis par sentir une sorte d’engourdissement. Je n’entendais plus Sarah et ça m’inquiétait. C’était pas normal, elle me parlait toujours quand j’en avais besoin, quand j’angoissais trop, quand j’étais pas bien… mais là, plus rien, même lorsque je l’implorais.

Un soir alors que je rentrais tard du casino et que j’étais particulièrement crevée de ma soirée. - faut dire qu’elle avait été éprouvante, l’animation du soir m’avait tuée - j’oubliais de les prendre. Tara n’était pas là et je montais me coucher directement, surtout que mon mal de pieds m’avait complètement épuisée. Le lendemain matin, Sarah était là à mon réveil, s’inquiétant pour moi. Même si elle avait refusé de répondre à mes questions sur son silence, je réalisais que la cause pouvait être ces foutus médocs quand je tombais sur eux en entrant dans la cuisine. Je ne pouvais plus laisser faire ça. J’aimais beaucoup le doc mais il ne m’aidait pas au fond avec ça. De toute façon, cela n’avait pas allégé mon malaise en quoique ce soit, j’étais juste plus moi mais une autre, vide de tout. Sans rien dire à Tara, je jetais alors quotidiennement mes cachets dans les toilettes, lui laissant croire que je les prenais toujours.

Cela faisait maintenant dix jours que j’avais vu le doc. J’appréhendais la prochaine visite, il allait surement se rendre compte que je ne prenais pas les cachets mais je refusais, donnant le change à ma sœur comme je pouvais. J’essayais de manger plus, me forçant souvent devant elle, ce qui semblait fonctionner et elle m’observait d’un œil maternel approbateur. Les cachets disparaissaient des plaquettes comme si de rien n’était, ce qui la satisfaisait également. Mais j’étais en manque et les quelques joints que j’avais fumé ne suffisaient plus.

Ce soir, j’avais donné rendez-vous à Zack, un pote à moi dealer. C’était mon jour de congé, j’avais donc toute la nuit devant moi. Tara ne se méfia pas outre mesure quand je lui indiquais que je sortais, elle avait également une soirée de prévue et puis je crois aussi qu’elle avait un nouveau mec. Cela faisait quelques jours qu’elle recevait des coups de fils à longueur de temps et elle passait souvent la nuit entière dehors.

Me laissant seule.

Un jour elle finira par partir pour un homme qui partagera sa vie, prenant ma place, prenant son cœur. Un jour je resterai seule. Ce jour-là, je n’aurai plus qu’à disparaitre vraiment.

Elles étaient loin les paroles du doc sur notre force et notre complicité. La maigre confiance qu’il avait tenté de construire autour de moi s’était envolée comme un château de cartes balayé par le vent. Il ne savait pas tout.


Et je saigne encore, je souris à la mort
Tout ce rouge sur mon corps
Je te blesse dans un dernier effort

Je lui ai filé tout mon blé pour cette ligne de coke. Et lorsque la poudre s’éparpilla dans mon nez, je me laissais aller contre le dossier du fauteuil, fermant les yeux.

- Elle est bonne, pas vrai ?

Je ne répondis rien, juste un signe de la tête. Ca commençait à crépiter dans mon esprit et le sentiment de flottement tant attendu arrivait enfin. Enfin je revivais. Enfin Sarah était là, pleinement, totalement, me soufflant ses mots d’amour, parce que c’était de l’amour qu’elle me portait dans ces moments-là.

J’occultais totalement l’ambiance alentour. Nous n’étions plus dans ce bar, mais seuls au monde. Zack contre moi avait glissé sa main sur ma cuisse dénudée. Je savais ce qui allait se passer ensuite mais je m’en foutais. Je n’étais qu’une pute après tout dans ces moments-là. Sa voix contre mon oreille devint tentatrice, telle le serpent qui vient envouter sa proie.


- Et j’ai du V aussi si tu veux…

J’ouvrais les yeux sur lui, sur les siens qui me fixaient avec un vice sans nom. Il connaissait mon faible pour le sang vampire, il savait que j’étais prête à tout pour ça. Mon cœur s’accéléra dangereusement dans ma poitrine, ma bouche s’ouvrit sans pourtant qu’aucun son ne sorte.

- Mais il va falloir payer ma belle…

Je ne pigeais pas. Je venais de lui donner mon blé. Il se rapprocha au plus près, passant son bras à mon cou, me montrant un type au bar que je ne voyais que de dos.

- Une petite passe et ça fera l’affaire. Tu prends 200. Je t’attendrai sagement. Mais fais ça vite, pis les vieux comme lui, ça doit pas avoir beaucoup d’endurance.

Il ria contre mon oreille et m’embrassa la tempe avec force, me poussant en même temps pour me lever.

- Dépêche-toi, je te promets une baise torride ensuite ! Faut qu’on fête nos retrouvailles !

Zack était de ces petits voyous peu fréquentables, j’en avais conscience, mais il savait me manipuler et pour du V, je pouvais faire n’importe quoi. Je me levais, tirant sur ma minijupe pour ne pas qu’elle fasse trop vulgaire. J’étais pas fringuée sagement c’était clair et mon maquillage ultra noir me vieillissait facilement d’au moins 5 ans. M’avançant à travers la salle, je me rapprochais du type, me collant dans son dos pour lui susurrer quelques mots à l’oreille.

- Alors cowboy, un peu de compagnie ce soir ?

Sans attendre, je le contournais, venant m’appuyer contre le comptoir pour lui faire face, un sourire enjôleur aux lèvres. Mais lorsque je relevais les yeux sur lui, je crus que mon cœur allait s’arrêter net quand je reconnus le doc McKennitt.


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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeLun 22 Avr - 23:46

Après l’épisode des sœurs Andrews, mon quotidien professionnel avait retrouvé son aspect parfaitement lisse, sans inclure autre chose dans le processus qui n’appartenait pas à mon domaine de compétences, et qui ne relevait pas de mon statut de médecin. C’était plus facile ainsi. Je peinais encore à réaliser l’attitude totalement ahurissante de Lola, me demandant si la prise de drogue seule était responsable de cette descente aux enfers qui, à mon grand regret, était loin de se trouver déjà derrière elle. Le mot vampire m’inquiétait tout autant, sinon plus. Si elle commençait à travailler pour eux, avec eux … alors je risquais de la perdre définitivement. Et pas uniquement moi… Malgré les comportements parfois rebutants de Tara, je ne pouvais que la rejoindre quant à sa volonté de protéger une gamine qui ne disposait pas des moyens nécessaires pour garantir sa propre sécurité. Et puis il y avait eu cette histoire de siamoises … J’eus beau chercher, je ne mis pas la main sur ce dossier. Oh certes, mon manque de temps empêchait pour l’heure des recherches approfondies, mais le fait de ne pas dénicher immédiatement les informations que je désirais obtenir n’était pas pour me rassurer, au contraire. Où était passé ce fichu dossier ? Il ne s’agissait pas de patientes banales, nom de dieu ! Force étant de constater que ma secrétaire se montrait tout aussi impuissante à me venir en aide, il ne me restait plus qu’à me débrouiller tout seul, grâce aux quelques connaissances utiles dans les archives. Cependant, la chance n’était pas avec moi. Plusieurs urgences dans la semaine, incluant notamment des enfants. Une grave chute de vélo qui avait réussi à faire grimacer jusqu’à mes confrères les plus aguerris. Il était également plus difficile de résister aux cris d’un gosse qu’à ceux d’un homme d’âge mur. Ce dernier peut tenter de prendre sur lui, ne serait-ce que par fierté. Mais on ne calme pas les hurlements de douleur d’un enfant en brandissant l’argument d’un ego qui n’a pas eu l’occasion de se construire. Alors, ces cas-là étaient les plus éprouvants. Je me sentais étrangement fatigué. Il s'agissait d'une certaine lassitude, en sourdine, qui m’étreignait le cœur, sur tous les plans. Je sortais un peu moins, je ne rêvais que de mon lit, je pensais parfois à ma mère, parfois à mon avenir, totalement décousu en apparence. Bref, pas la joie. Mes amis croyaient que je traversais une période de légère déprime, et je n’étais pas pour les contredire là-dessus. La vie d’un toubib comporte ces passages obligés. Ma belle énergie reviendrait, plus tard. En attendant : ne pas se complaire dans une morosité qui ne me ressemblait pas et respirer un peu d’air frais étaient devenus mes préceptes obligatoires.
Ainsi, régulièrement, après le boulot et être passé par mon appartement, je me changeais pour aller traîner dans un bar ou deux. Parfois entre amis, parfois seul. Ce soir-là, ils étaient partis tôt. Cependant, je n’avais pas envie de rentrer tout de suite. Eux bossaient le lendemain, pas moi. Alors, ils m’abandonnèrent à mon scotch et, après m’avoir salué une dernière fois, se fondirent dans la nuit citadine de Seattle. Demeurant au comptoir, je réfléchissais aussi posément que possible. J’avais une forte envie de bouger. De partir. Temporairement ou définitivement, cela restait encore à voir. Je ne m’imaginais pas poser mes valises dans une autre ville pour être honnête. Mais prendre de longues vacances, ou faire un break, ou … Tout ce qui aurait pu m’aider à faire le point. J’approchais de la quarantaine, et je ne pouvais plus me contenter de faire uniquement au jour le jour, combien même cette attitude d’adulte me tapait sur le système
.

*Je vieillis…*

Et ma conscience éprouvait une curieuse sympathie pour l’homme, entre deux eaux, que j’étais en cette étrange période. La jeunesse était loin et enterrée, mais j’étais dans la force de l’âge, et loin d’être bon à jeter. J’étais satisfait de mon style de vie, de mon caractère affûté à la grâce des ans. Tout allait bien. Tout irait forcément bien. Je me laissais encore un quart d’heure avant de quitter le bar, dont les clients commençaient à prendre un ton beaucoup plus sombre, l’heure passant. N’étant pas dans l’un des beaux quartiers de Seattle mais penchant davantage vers ses fonds les plus bas, je n’étais guère surpris, mais ce genre d’atmosphère n’était pas mon trip actuellement. Alors autant finir mon verre et me tirer d’ici. Me faire un autre bar, puis rentrer dormir.
J’en étais là de mes bonnes résolutions quand un étrange contact me fit sursauter et je me redressai, piqué au vif. Une voix féminine. Mais pas n’importe laquelle. Foudroyé, mes méninges fonctionnant à toute vitesse, je calculai rapidement :

Femme jeune, okay.
Prostituée, okay.
Mais cette voix … Familière.

Je tournai la tête aussitôt la sentais-je me quitter pour se poser à mes côtés. J’aurais pu faire exploser mon verre si je n’avais eu le réflexe de lâcher ce dernier. Mes yeux ne pouvaient quitter le visage de Lola. Lola. Fringuée comme une pute. Parlant comme une pute. Totalement retourné, la dévisageant de la tête aux pieds. Sa jupe, son décolleté, son maquillage. Son nom sortit de ma gorge tel un souffle d’outre-tombe
.

« Lola… »

Sous le choc, je pivotai et descendis de mon tabouret, lui faisant face de toute ma hauteur. Quelque chose en moi se recroquevillait à vue d’œil. Je le percevais. Désagréablement. Peut-être s’agissait-il de l’espérance, de la foi que j’avais placée en elle. La commissure de mes lèvres se retroussa, tandis que mon nez se fronçait de dégoût à la voir fardée et déguisée de la sorte.

« Alors c’est donc ça … »

Je secouai la tête, finissant par planter mon regard sévèrement dans le sien.

« Tu en es vraiment arrivée là ? Tu n’as jamais arrêté la coke et tu vas jusqu’à faire le tapin pour te la procurer ? »

Marquant une pause, un rire nerveux s’échappa d’entre mes lèvres, et j’applaudis quelques secondes devant elle.

« Bravo, Lola. Tu n’aurais pas pu choisir de meilleure voie. »

La colère grimpant à une vitesse ahurissante, je descendis ce qu’il me restait de scotch, avant de faire cogner durement le socle de verre contre le rebord du comptoir. Résistant à l’envie de le jeter à travers la pièce. Sans pitié pour elle, mes iris toujours fichés dans les siens, et ma voix plus dure que jamais.

« Tu m’as joué la comédie l’autre jour … ? C’était du cinéma ? Ton baiser, tes belles paroles ? »
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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeMar 23 Avr - 18:24

J’eus l’impression de me prendre un sceau d’eau sur la tête ou de tomber dans les flammes de l’enfer tellement la surprise me cloua sur place. Le doc. Le doc était là, devant moi et je venais de l’accoster comme un vulgaire client, une passe, un aller-retour pour une baise rapide. Je m’accrochais au comptoir pour ne pas tomber tandis qu’il se levait de son siège pour me faire face, de sa stature et de sa hauteur.

Son regard. Mon dieu que je craignais son regard en cet instant. Ses lèvres s’étaient retroussées comme s’il s’apprêtait à me sauter à la gorge, comme si la découverte qu’il venait de faire suffisait à elle seule à me blâmer. Sa voix était cassante, coupante comme la plus aiguisée des lames, me mettant à genoux devant l’autel de ma propre déchéance, jugée par le père moralisateur qu’il devenait. Ses mots coulaient comme un venin amer, me brulant les tripes et l’esprit à mesure qu’ils gagnaient mon ouïe. Je fermais les yeux pour ne pas les entendre, geste futile puisqu’ils s’évertuaient à m’enfoncer encore plus, me jugeant, me condamnant d’avance, sans savoir, sans comprendre.

Je ne pouvais rien dire, rien faire. Clouée sur place sans pouvoir faire un geste, c’est les yeux remplis de larmes que je les relevais sur lui. Moi qui lui avais fait confiance, qui lui avait tout dit, tout raconté. Moi qui lui avais ouvert mon cœur et mes plus secrètes confidences. J’étais une nouvelle fois trahie et bafouée par celui en qui je m’étais totalement remise. J’étais en colère, d’une colère sourde et aveuglante alors qu’il s’amusait de moi, applaudissant ma minable prestation. Un coup bas supplémentaire pour me rabaisser encore plus bas que je ne pouvais l’être déjà. Il me noyait dans ma propre décrépitude.

J’étais tétanisée, incapable de la moindre réaction. Mes larmes coulaient en abondance sur mes joues, noyant mon maquillage. Ma gorge inondée de sanglots m’empêchait de prononcer la moindre parole. Je n’étais plus qu’un simulacre de pute invendable, bonne pour le rebus. Ses mots pourtant continuaient de m’assaillir, me plantant en plein cœur, achevant lamentablement de me démolir. Non je n’avais jamais joué la comédie avec lui. Jamais, jamais, JAMAIS !!!

Je secouais la tête dans la négative, seul geste capable de répondre à ses attaques. Comment pouvait-il dire ça de moi ? Comment pouvait-il penser, une seconde, ça de moi ? Mon cœur se brisait une nouvelle fois, je perdais l’un de mes derniers repères, me laissant ainsi partir à la dérive.


- Vous ne savez pas…

J’articulais à peine. J’ignorais s’il m’avait entendu. Cela n’avait plus d’importance à vrai dire. Pourtant, surement pour la première fois, je le fixais droit dans les yeux, soutenant son regard accusateur, osant affirmer mes propres vérités.

- Je vous ai… jamais menti.. jamais…

Mais il ne comprenait pas, il ne comprendrait jamais. J’avais été sotte et complètement idiote de croire qu’un toubib pouvait aller au-delà de ses convictions scientifiques. Il était un scientifique et seulement cela. Il voulait comprendre, savoir, et que mathématiquement ça colle. Il voulait expliquer par a + b pourquoi j’étais comme ça, pourquoi ça n’allait pas, sans se soucier de toute l’alchimie qui résidait dans mon cœur, au-delà de l’aspect visuel. Il se foutait en fait de ce que j’avais vécu, ce que qui me hantait, de mes craintes et mes folies. Tout ce qu’il voulait c’est que je rentre dans un moule comme tout le monde.

Cette simple vérité m’écœurait au plus haut point si bien qu’un haut le cœur manquant de me faire vomir ma bile. Le sol s’écroulait sous mes pieds.

Je n’avais pas remarqué que Zack s’était levé, attiré surement par les bruits de voix et les gestes du doc, attiré par le manque de réaction de ma part et le fait que rien ne se passait comme prévu. Pour ma part, je ne voyais rien, rien au-delà du visage crispé par la colère et le dégout que je lui inspirais. Pourtant quelque chose changea quand le visage de Zack entra dans mon champ de vision, m’interrogeant sans attendre.


- Lola, y’a un problème ?


Puis se tournant vers le doc, il le poussa pour venir s’interposer, sentant surement que quelque chose clochait. C’était pas bon pour les affaires et son business, cette histoire. Il était temps de réagir. M’attrapant par les épaules, il tenta de m’éloigner du doc, l’assaisonnant de quelques paroles bien envoyées.


- Et toi là, qu’est-ce que tu veux ? Dégage de là ! Y’a rien à voir !

Pour la première fois de ma vie, je ne voulais pas en rester là, je ne voulais pas me laisser faire et d’un geste maladroit, je me dégageais de son emprise pour refaire face au doc. Tout ça s’était passé relativement vite, sans que ça soit prémédité. Zack parut choqué, peut-être même fâché de ma réaction. Il n’y était pas habitué. Mais je ne le regardais pas, c’était le doc que je fixais toujours.

- Vous ne savez pas !! RIEN !!! VOUS NE SAVEZ RIEN !!!!

Les lèvres tremblantes, j’hurlais presque à son intention. Le regard brouillé m’empêchait de voir et je m’essuyais les yeux sans me soucier le moins du monde de mon maquillage souillé. Ca n’avait pas l’ombre d’une importance, je n’étais plus importante à ses yeux.

Totalement hébétée, je me reculais alors, comme si l’approcher encore pouvait me nuire. Zack me fixait incrédule, tentant par quelques paroles autoritaires de me faire retourner dans le « droit » chemin. Quelle ironie. Je reculais encore, butant derrière contre un type qui se retourna en grognant. Je perdais pied, dans tous les sens du terme. Détournant les yeux, je tentais alors de quitter cet endroit sordide, courant presque jusqu’à la porte où une bande de badauds attendait. L’un d’eux tenta de me rattraper, me chopant par la taille mais je me dégageais comme une furie, finissant par tomber par terre sur le trottoir. Le bitume me rappa les genoux au sang, déchirant mes collants. Aucune importance. Je me relevais derechef, détalant dans la nuit alors que derrière moi des rires fusaient à mon intention.

J’ignorais totalement où aller. Je m’en foutais. Tant pis si ma course folle m’amenait dans la gueule du loup, je n’avais plus rien à quoi me raccrocher. Ni maintenant. Ni jamais.

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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeMer 24 Avr - 18:38

Elle semblait aussi choquée que moi. Et il y avait de quoi … Le hasard ou le destin venait de jouer en sa plus grande défaveur. Je n’aurais pas voulu me retrouver à sa place, pour rien au monde. Je n’étais pas stupide, et je me doutais bien que nulle fierté ne pouvait couver en elle à cet instant. J’espérais sincèrement qu’elle se rappelle toute sa vie de la honte éprouvée maintenant. Qu’elle se grave à jamais dans sa tête, dans sa mémoire. Jusqu’à son dernier souffle. Il est de ces étincelles, de ces sursauts de raison qui peuvent changer le cours d’une existence. Mais Lola Andrews pouvait-elle encore être touchée par un de ces dits sursauts ? C’était ce dont j’étais en train de m’inquiéter sérieusement. Je n’aurais pu imaginer la jeune femme me faire un coup pareil. Je me sentais trahi, je me sentais mal et roulé dans la farine de A à Z. J’aurais voulu qu’elle tombe. Qu’elle prenne durement conscience de ce qu’elle venait de provoquer. Qu’elle touche du bout du doigt, puis pleinement, les conséquences de ses actes. Tu as voulu jouer dans la cour des grands, demoiselle. Tu as voulu berner tout ton monde. Alors assume, maintenant. Regarde-toi. Tu es aussi pitoyable qu’une putain de bas étage peut l’être. Et ne pense pas que je ferai l’effort de masquer cette pitié inscrite sur chaque trait de mon visage. Déception. Déception au goût de cendres. Et elle ne disait rien. Et elle ne répondait pas. Et elle ne faisait rien pour se défendre un soit peu. J’ignorais si je voulais vraiment qu’elle le fasse, ou qu’elle se contente d’accepter sans mot dire, de courber l’échine pour repartir aussitôt dans son monde de débauche intoxiquée. Elle se mit à pleurer. Toutefois, je ne ressentis plus ce pincement au cœur qui m’avait poussé à avancer vers elle et à l’aider dans mon cabinet. Cette fois, une sorte de satisfaction malsaine me faisait inspirer et gonfler ma cage thoracique. Vas-y, pleure. C’est tout ce qu’il te restera : des larmes. Puisse le sel couler sur les sillons des blessures que tu as toi-même ouvertes. Lola. Comment as-tu pu ? Comment ? Elle était l’image même du désespoir qui coule, coule autant que les traits sombres de son maquillage, la redessinant en mariée funèbre. A quoi es-tu mariée ? A ton mode de vie lamentable ? A ta volonté trop faible pour résister ? Au mensonge ? A quoi es-tu mariée, Lola ?
Elle secoua enfin la tête, marquant la négative quand je la soupçonnais pourtant de m’avoir, du moins dans les premiers temps, servi un numéro de putain cachée derrière un visage de pucelle. La façon dont elle m’avait embrassé, fougueuse et experte, aurait pu me mettre sur la voie… si seulement je n’avais pas fait preuve d’autant de naïveté. Et ce qui m’était alors apparu comme un simple geste de désespoir qu’une conversation avait pu apaiser voire effacer, ressemblait maintenant à une écoeurante tentative de manipulation pour je ne sais quoi. C’était aussi blessant que vexant. Mon ego d’homme et de toubib plantés par la même flèche, mis au tapis.

Je ne savais pas ? Qu’est-ce que je ne savais pas, encore ? Penchant la tête sur le côté, dans une posture à la fois attentive et méfiante, agressive et sur la réserve, je crispais les poings, les contraignant à l’immobilisme. Même si j’aurais préféré tourner comme un lion en cage plutôt que de demeurer plus stoïque qu’une statue. Mais si je bougeais … C’était la fin. Elle soutint mon regard, et mes iris bleutés ne s’en montrèrent que plus acérés, comme pour sonder son âme. Oh si, tu as menti. Tu as menti par omission. Ne joue pas sur les mots. C’est important, les mots. Il n’y a que par eux que tout est possible, que le doute n’est plus permis, lorsqu’on les manie avec honnêteté. A la voir tressaillir, je compris qu’une nausée la terrassait, et je crus qu’elle allait me vomir dessus. Mes réflexes de médecin manquèrent de prendre le dessus et j’étais prêt à m’avancer pour la soutenir d’une main sur l’épaule. Je n’eus pas à les mettre en pratique. Un homme déboula, s’immisça à l’intérieur de cette scène qui, pourtant, ne le concernait en rien. Aussitôt, sa gueule de petit con ne fit qu’entailler davantage la Mère Patience qui s’acharnait en moi pour que je puisse conserver une attitude aussi posée que cette foutue révélation me l’autorisait.
Je dus reculer d’un pas. Ce type m’avait touché. Okay. Mec, dommage pour toi. Je souris, dangereusement. Pour le moment, son seul problème, c’était lui et sa tête de dégénéré. Mes sourcils s’arquèrent. C’est fou à quel point certaines personnes ne se rendent pas compte de la merde dans laquelle elles s’enterrent toute seule. Je ne suis pas bourré. J’ai parfaitement connaissance de mes moyens, je suis lucide sur la situation et, en prime : j’ai besoin de me défouler sur quelque chose. Tu tombes à pic, mon gars ! M’adressant à lui, ma voix demeurait étrangement … calme. Trop calme.


« Toi d’abord, tu la fermes. »

La dernière syllabe fut presque avalée par le cri de Lola, semblant jaillir du plus profond d’elle-même et qui s’était débattue de l’emprise que son … mac ? … avait tenté d’affermir sur elle. Tout n’était donc pas perdu ? Sursaut … Sursaut, montre-toi… Elle répétait la même chose. Je ne savais rien. Eh bien, oui, je dois l’avouer. Etant donné ce que je viens de découvrir de toi, je ne sais rien. Mais si tu ne me l’avais pas caché … si tu ne m’avais pas menti… Je ne voulais pas avoir à m’expliquer avec elle devant de parfaits inconnus. J’aurais voulu nous isoler, pour comprendre. Pour ne pas mourir complètement idiot. Pour avoir un semblant d’explication. Et la voilà, qui reculait déjà. Tu fuis encore ?
Oh non. Pas question. Je voulus la suivre, mais la poigne du blanc-bec m’en empêcha et me repoussa contre le bar, dont je me pris le bord du comptoir en plein dans le dos, m’arrachant un cri grondant. Mauvaise idée. Alors qu’un cri de la jeune femme me rendait tout aussi ivre de colère et de sang, je saisis sa nuque que j’aurais pu broyer entre mes phalanges tant la fureur aveuglait tout, broyait tout, confondait les limites. Son front cogna le bois poli durement, avant que mon verre ne vint s’éclater contre sa tempe dans un fracas de verre brisé, le laissant sonné voire sûrement entaillé. Je m’en foutais royalement, déjà occupé à me frayer un chemin à coup d’épaules dans la masse jusqu’à gagner la sortie du bar.
Jetant un coup d’œil à droite puis à gauche, j’aperçus de loin la silhouette de Lola qui courait, de façon anarchique et totalement arbitraire. Sans hésiter, je me mis à la poursuivre, n’hésitant pas à cogner les passants qui n’avaient pas l’intelligence ni la présence d’esprit de s’écarter assez vite devant notre course effrénée
.

« LOLA ! ARRETE ! »

Pourquoi est-ce que tant de monde était de sortie, bon sang ?! Je perdais trop de souffle et de temps chaque fois qu’il s’agissait d’esquiver au maximum les passants.
Cependant...
L’inconvénient de chercher à rattraper quelqu’un à tout prix, c’est qu’on se montre forcément moins attentif au reste du monde.
L’inconvénient d’une grande ville, c’est que la circulation y est permanente, ses rues innombrables et ses passages piétons aussi.
L’inconvénient d’un manque d’attention, c’est qu’on ne remarque alors pas forcément la présence des petits néons verts ou des petits néons rouges.
L’inconvénient d’un corps humain est qu’il reste d’une grande fragilité, quelle que soit la force d’un individu.
Et enfin, l’inconvénient de ceux qui démarrent au quart de tour, c’est qu’ils ne prévoient pas toujours la réaction d’un piéton moins préoccupé que les autres à ne pas se faire écraser.

Je dépassai le troupeau qui venait tout juste de s’arrêter sur le bord du trottoir. D’un bond, j’avais atterri sur la chaussée. Sans apercevoir la moto qui, déjà, était prête à me faucher les jambes
.

« LO… »

Il freina. Assez pour éviter de me tuer ou de me paralyser à vie. Pas assez pour éviter de me cogner et me faire voler, dans un long moment suspendu. Le souffle coupé, je me sentis projeté dans les airs, le cœur haletant. Pour mieux retomber sur le trottoir d’en face. Amusant. C’est là que je voulais aller. C’est celui que Lola avait emprunté. C’est là que mon corps encaissa le choc, heureusement par ma hanche qui prit le plus gros du coup. Ma tête, elle, cogna contre mon propre avant-bras. Double douleur.

Asphyxie.
Etoiles dansantes devant les yeux.
Trou noir.
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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeMer 24 Avr - 22:41

Dehors, la nuit était bien avancée mais ce détail m’échappait totalement. Me relevant, j’avançais sans vraiment voir, poussant les gens que je croisais, me prenant insultes et coups alors que moi-même je ne prenais guère de gants envers ceux qui se trouvaient sur ma route. Mes genoux me brulaient d’ une douleur lancinante, mais je refusais de m’arrêter pour m’en inquiéter. J’étais aux prises d’un tourbillon vertigineux, incapable de retrouver le sens de la réalité, ballotée de gauche à droite par la foule, le monde de sortie cette nuit.

Ce kaléidoscope dans lequel je progressais comme une aveugle en devenait oppressant, me laissant cet arrière-gout amer d’étouffement alors que pourtant la brise était fraiche ce soir. Les sanglots obstruaient toujours ma gorge, me laissant à peine de quoi respirer. J’étouffais dans tous les sens du terme. Le danger était partout dehors et pourtant je l’occultais totalement, ne cherchant qu’à disparaitre de cet univers, de son univers à lui. Lui le doc. Lui qui m’avait tout donné et tout repris en suivant. J’ignorais ce que ma sœur allait en penser, j’ignorais ce que j’allais pouvoir bien lui dire et l’idée de me planquer loin de tout pendant quelques jours m’effleura l’esprit. Au moins, je n’aurai rien à n’attendre de personne et qu’importe qu’on me cherche. Allait-on au moins me chercher ?

Je courais.

Et pourtant j’avais cette affreuse impression de ne pas avancer d’un millimètre. Pire, de m’enliser, de ne pas arriver à me sortir de là, comme si la rue et le bitume allait soudaient s’ouvrir sous mes pieds pour m’avaler toute entière.

Je courais sans but à atteindre, juste pour fuir, fuir encore.

Malgré les bruits de la ville, de la nuit.
Malgré les cris et les klaxons.
Malgré la musique des bars qui s’échappaient par les portes béantes.
Malgré les moteurs alentours.
Malgré la liesse des fêtards.
Malgré tout ça, je l’entendis pourtant. Lui. Sa voix. Son cri qui m’appelait, figeant le temps en une fraction de seconde. Tout s’arrêta autour de moi, comme gelé dans un ralenti artificiel. Ce fut comme dans un rêve éveillé, un état comateux qui n’avait pourtant rien à voir avec la drogue que j’avais pu prendre un peu plus tôt. Interpellée je tournais la tête en arrière. Mes cheveux au vent volaient autour de moi et mon regard se posa alors sur lui, plus loin, juste au moment où il allait traverser la rue. Juste au moment où cette moto bifurqua.


* Noooonnnn ! *

Trop tard. Le choc eut lieu en une demie seconde. Aussi fragile qu’un château de cartes balayé par le vent. Ma course s’était arrêtée en même temps que la sienne et mon cœur se fendit en deux quand je vis voler son corps, pourtant lourd, dans les airs, comme s’il n’avait été qu’une plume porté par la brise. Retenant ma respiration, seuls les à-coups de mon cœur palpitaient lourdement dans ma cage thoracique, accentuant la tension alors que je suivais des yeux sa chute douloureuse.

- NOOOOOOOOOOOOOOONNNNN !!!!!

Ma voix avait fendu la foule et sans attendre, je repris ma course dans l’autre sens cette fois. Pas question de rester sans rien faire, de le laisser là. Je me sentais coupable de l’avoir entrainé dans cette galère et je priais déjà tous les dieux qui pouvaient m’entendre de lui laisser la vie. Haletante, je tentais de gagner au plus vite les lieux du drame.

La foule s’était rassemblée autour de lui, me cachant la vue à mesure que j’arrivais et je dus me faufiler à travers les gens pour arriver jusqu’à lui, usant de mes coudes pour qu’on me laisse passer. Et lorsque je le découvrais, il était inerte, au sol. Le motard un peu plus loin inspectait sa bécane avec un autre type.

Je me précipitais près de lui, m’agenouillant. Il avait du sang plein la figure, les cheveux en vrac. Sa chemise était déchirée au niveau du coude. Sa peau était rougie par endroit et visiblement bien rappée aussi.


- Doc ! Doc !!! DOC !!! Je vous en prie !!!

Je glissais mes mains sur ses joues, espérant par ce geste le faire revenir à lui, avoir un signe qui m’indiquait qu’il allait bien, du moins pas trop mal. Il faut croire que mes prières furent exaucées car il cligna des yeux à ce moment-là. Je respirais et me reculais, ne voulant pas envahir son territoire. J’oubliais pas non plus la colère qu’il avait eue contre moi juste avant. C’est là qu’un type m’attrapa par les épaules, me faisant reculer pour prendre ma place.

- Allez gamine sors-toi de là. Il a besoin d’air…

Je m’exécutais sans rien dire tandis que le type l’attrapait par-dessous le bras pour l’aider à se relever.

- Ca va ? Vous voulez qu’on appelle les secours ? Un docteur ?

Les gens commençaient à se disperser. Il n’y avait pas mort d’homme alors ça n’intéressait plus vraiment. Moi je m’étais reculée, restant en retrait. Il n’avait pas besoin de moi mais je voulais tout de même m’assurer que tout allait bien. L’espace d’un instant, il croisa mon regard quand il fut remis sur pied et je n’osais bouger. C’était pas le moment de ranimer sa colère bien que je le sentais encore sous tentions. Et puis cet accident n’avait pas du arranger les choses et j’en étais pour ainsi dire responsable. Le type qui l’avait aidé s’inquiétait de lui, lui posant des questions alors je me reculais l’air de rien. Je pouvais à présent partir, surtout que je venais d’apercevoir Zack dans la foule alentour. C’était pas le moment de trainer dans les parages, cette soirée avait été suffisamment gâchée comme ça.
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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeJeu 9 Mai - 23:51

Les secondes semblent bien longues entre l’impact et la chute. L’étourdissement, lui, est total. Les sons deviennent confus, embrouillés. On n’entend plus rien : ni les cris de terreur des gens qui ont assisté à la scène, ni les crissements des pneus des véhicules qui eurent la présence d’esprit de ne pas débouler et créer un deuxième accident sur la moto qui m’avait percuté. Je n’entendis pas non plus les poubelles et leur choc de plastique quand je leur suis rentré dedans, pour le meilleur et pour le pire. Je n’ai pas vu autre chose qu’un tourbillon de couleurs, aveuglantes, désagréables et agressives. Pas le moins du monde ternes ou calmes pour l’œil. Tous les néons, tous les phares et les devantures m’apparaissaient aussi efficacement qu’un éclair tranche avec une nuit d’encre. Je n’ai pas crié. On ne crie pas forcément dans ces cas-là. Ma voix a simplement été frappée de stupeur, au sens propre comme au sens figuré, et le nom de celle que je poursuivais s’est perdu, quelque part entre les bandes blanches du passage piéton sur lequel j’avais eu l’imprudence de m’aventurer. Muet, la gorge sèche et râpeuse, j’étais désormais étendu sur le sol, masse de douleur. La douleur qui arrivait avec un temps de retard. La sournoise. Elle vous prenait au moment où vous vous y attendiez le moins. Et cette fois il n’y avait ni morphine, ni calmant qui me permettrait de tenir le choc. Mes paupières battirent l’air plusieurs fois. Pourtant je restais là, hébété, à fixer le ciel dont on ne distinguait pas les étoiles. Trop polluée, Seattle se montrait capricieuse quant aux vues nocturnes qu’elle offrait. Ma poitrine se soulevait et s’abaissait presque normalement. Presque. Car ma respiration eut du mal à reprendre un rythme normal. Mon dos me faisait un mal de chien. Remuant le bout des doigts, je m’aperçus cependant que j’étais parfaitement en mesure de les agiter, de même que je sentais toujours mes jambes. C’est un véritable soulagement qui m’envahit alors. J’allais bien… Si ce n’était un léger mal de crâne, quelques contusions et autres hématomes, ainsi qu’un sifflement persistant traînant du côté de mon tympan droit. Un liquide humide, tiède, coulait le long de ma tempe. Pas besoin d’être devin pour comprendre qu’il s’agissait de sang. Péniblement, encore engourdi par le choc, j’y portai mes phalanges et, les passant sous mes yeux, découvris cette teinte rougeâtre que je côtoyais si souvent.
La vie, cette acharnée, reprenait déjà son cours. A nouveau, j’entendais les gens. Les mots, les signes d’affolement, d’empressement. J’aperçus des visages. Aucun de connu. Une flopée d’iris, des cheveux qui pendaient çà et là. Des sacs qui brillaient, des vêtements sombres… Plein de choses. Quant à moi, je peinais déjà à garder les miens en action, et bientôt, le noir m’engloutit de plus belle. Incapable encore d’articuler un mot, déglutissant tant bien que mal. Ce fut alors qu’Elle apparut à mes côtés. Ma Lola. Mais était-ce vraiment la mienne ? Non. Cette gamine n’appartenait à personne, pas même à sa sœur. Elle avait réussi à berner son monde. Jusqu’à ses plus proches. Alors moi, simple médecin de famille… Je pouvais rêver avant d’espérer pouvoir un jour comprendre et décrypter cette personnalité qui, ce soir, avait fini de m’échapper complètement. C’en était désespérant. Il fallait que je bouge. Mais le sol ne m’avait jamais semblé aussi confortable qu’en cet instant. Me téléporter dans mon lit aurait été un bonheur. Lola, elle, m’appelait. Me touchait. Je sentais la présence de ses mains contre mon visage. J’écoutais ses glapissements effrayés. Pourquoi est-ce que tu hausses la voix ainsi ? Arrête de t’inquiéter. Tu vois bien que je suis là. Je n’ai pas encore basculé de l’autre côté. Toutefois, elle ne pouvait pas le savoir. Pas avant que je n’ouvre mes prunelles, ce que je m’efforçai de faire avec un regain de volonté. Cette fois, je n’avais plus d’yeux que pour elle. La fixant longuement, comme s’il s’agissait de la dernière chose qu’il me serait donné de contempler. Elle recula. La Peur. On aurait dit qu’elle avait peur.

Puis, tout alla très vite. Alors que mon instinct de survie se révoltait à me voir encore allongé, vautré et cloué par une dizaine de foyers de souffrance allumés partout dans mon corps, un homme s’interposa entre nous deux. Il avait l’air de savoir ce qu’il faisait. Je reprenais pied doucement. Conscient que de mes réponses se jouerait la suite de ma soirée, je me fis violence et hochai la tête avec une vigueur aussi nette que possible
.

« Oui… Oui ça va, je vous remercie… Je suis juste un peu sonné, pas la peine … d’appeler… Je… »

Je tentai de me redresser, mais c’est en grimaçant que je sifflai entre mes dents, maudissant ma peau écorchée.

« …Je suis médecin… »

L’homme m’aida aussitôt et me tendit sa main, tout en me soutenant de l’autre contre mon dos. Grâce à lui, je pus enfin me remettre sur pied peu à peu. Une quinte de toux déchira mes poumons, probablement davantage dû à mon éternel tabagisme joint à la course qu’à cause d’un réel problème à ce niveau-là.

« Merci. J’vous remercie… »

Une fois à peu près stable, il me lâcha et je fis rapidement le point. Je n’avais pas de difficulté particulière à me tenir droit. Toutefois, ma jambe droite avait encaissé durement, et marcher ne serait pas une partie de plaisir. Je tournai la tête vers Lola, toute penaude dans un coin, mais dont l’attention était totalement portée sur moi. S’il fallait que je me fasse percuter pour qu’elle daigne consentir à s’arrêter quand je l’appelais … Et nous voilà donc, face à face, avec le poids de la vérité devant nous. En boitant, je fis un pas vers elle, sans même avoir essuyé le sang qui coulait encore et qui avait maintenant atteint ma mâchoire. Ma colère n’avait pas fondu comme neige au soleil. Mais au moins, je n’avais plus cette envie de la gifler si fort qu’elle s’en serait souvenue jusqu’à la fin de ses jours. J’ignore combien de temps nous restâmes là, en silence. Peut-être cinq secondes. Peut-être une minute.

« Pourquoi … ? »

Tremblant de fatigue, de froid. Le simple fait de parler me coûtait plus qu’elle ne pouvait se l’imaginer. Je ne pouvais plus hurler. Je ne pouvais que murmurer. Las. Incroyablement las en réalité.

« Pourquoi tout ça … ? Tu as … tu voulais me mentir … ? Me manipuler… ? Je croyais que tu me faisais confiance. Je croyais…»
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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeJeu 23 Mai - 9:50

Je me sentais mal. Penaude. Responsable de tout ça. Je m’en voulais, oh oui je m’en voulais de l’avoir entrainé dans ce merdier. Si vraiment il lui était arrivé malheur, jamais je n’aurai pu me le pardonner.

Je ne bougeais pas quand il se rapprocha, restant le regard accroché à lui, à ses blessures, à ce sang qui coulait sur sa joue. Il boitait. J’avais tellement mal pour lui, bien que je n’osais bouger le petit doigt, me tordant les mains l’une contre l’autre.

Ses questions revinrent sur le tapis, avec cependant moins de virulence. Je baissais le nez un instant, inspirant longuement. Quand je relevais les yeux, ce fut pour fixer les siens. Comment lui expliquer ? Comment lui faire comprendre ? Il ne pouvait pas être dans ma tête, il ne pouvait pas ressentir tout ce que je ressentais depuis toutes ses années.


- Je vous ai pas menti doc... jamais j’aurai pu. C’est juste que vous ne comprenez pas parce que vous savez pas tout…

J’aperçus encore Zack plus loin, mais deux nanas que je connaissais venaient de l’accoster. Je n’avais pas spécialement envie de le voir rappliquer maintenant. Sans réfléchir, je m’avançais vers le doc, me glissant sous son bras, ceinturant sa taille du mien pour l’aider à marcher. Je pouvais servir d’appui ainsi pour qu’il ait moins mal en marchant. Il valait mieux partir d’ici, même si je ne savais pas trop où aller. L’hôpital était loin.

- Venez… il faut pas rester là.

J’avais peur qu’il me repousse, qu’il se dégage avec force de mon emprise. Je ne voulais pourtant pas le contraindre à quoique ce soit mais il était trop amoché pour rentrer tout seul et je ne pouvais le laisser là à son triste sort ici. Je lui devais bien ça après tout ce qu’il avait fait pour moi. Et là, je ne voyais qu’une solution. L’emmener chez nous. Tara saurait surement le soigner, elle avait toujours tout ce qu’il fallait dans l’armoire à pharmacie, que pour ma part je n’approchais jamais.

Finalement, il se laissa faire, s’accrochant à moi pour marcher. J’allais à son rythme, consciente de ses difficultés. Les douleurs se réveillaient, le faisant crisper la mâchoire à chaque fois qu’il posait le pied par terre. Les discussions étaient sommaires et impersonnelles. Pour l’instant, on évitait de parler de ce qu’il venait de se passer. Nous mimes pas loin de vingt minutes pour regagner notre appartement alors que d’ordinaire, j’en aurai mis moins de dix et j’étais consciente de l’effort considérable que ça lui avait demandé, même s’il tentait de masquer la douleur qui l’habitait.

Une fois à la maison, je l’amenais jusqu’au canapé où il se laissa tomber tandis que j’appelais ma sœur, qui j’espérais, serait là.


- Tara ? Tara, t’es là ?

Pas de réponse. Et le silence présent m’indiquait sans mal qu’elle était surement sortie. Encore chez son mec. Décidément, elle y passait sa vie. Un peu désemparée, je me retournais vers lui, ne sachant trop comment m’y prendre. Puis je pensais au premier remède connu, disparaissant quelques instants de son champ de vision pour lui revenir quelques minutes plus tard avec un verre de whisky à la main que je lui tendis.

- Tenez... prenez déjà ça, ça va vous faire du bien...

Je disparaissais à nouveau, partant à la recherche de cette boite à pharmacie. Mais où ma sœur avait-elle pu la ranger ? Je l’ignorais totalement, fouillant tout, sa chambre, les placards, jusqu’à finir par la dénicher dans la salle de bain, perchée sur l’armoire. Je dus monter sur le tabouret, manquant de peu de me vautrer par terre tellement la précipitation m’habitait. Mais je pus enfin récupérer l’objet convoité, la ramenant sous mon bras au salon où le doc m’attendait, tout en ayant chopé au passage une serviette propre.

Il n’avait pas bougé, comme sonné peut être. Le verre était vide posé sur la petite table. Je m’étais arrêté un instant sur le pas de la porte et me décidais enfin à le rejoindre, posant la boite à même le sol en l’ouvrant pour fouiller à l’intérieur. J’ignorais quoi chercher. Y’avait des compresses et diverses crèmes et bouteilles mais je ne voulais pas faire de conneries. Finalement, je me rabattis sur la serviette que j’allais imbiber d’eau au robinet avant de revenir vers lui.

Montant à genoux sur le canapé à ses côtés pour le surplomber, je tentais d’enlever ce sang séché, tapotant doucement sa plaie avec la serviette mouillée.


- Je suis désolée de vous faire mal…

Je me mordis le bord des lèvres à mesure que je pressais le linge humide, descendant sur sa joue pour la nettoyer.
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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeJeu 23 Mai - 15:04

J’attendais. Je ne pouvais plus qu’attendre. Brisé, morcelé. Plus en état pour la castagne. Plus en état pour les cris. Plus en état pour que dalle. Je me sentais affaibli, prêt à céder au premier petit vertige, et cette faiblesse me donnait envie de gronder sourdement. J’eus d’abord pour toute vision celle de son front baissée, Lola ressemblant soudainement à une petite fille contrite. Ce qu’elle était encore un peu, au fond. Si jeune, et déjà embarquée dans des affaires plus sordides que jamais. Et à quel point ? Qu’est-ce que j’ignorais qu’elle me dissimulait encore et qu’elle avait visiblement refusé de me confier ?

« Alors explique-moi… »

J’ignorais si elle m’avait entendu. Je voulais m’endormir, sombrer dans un Néant inaccessible même aux ombres les plus diffuses. Je voulais me propulser hors du temps. Je voulais… Alors que mes paupières commençaient à battre de l’aile, un bras fluet mais fermement décidé à me soutenir passa autour de ma taille. Inconsciemment, je manquai d’abattre mon buste contre ce rebord bienvenu, avant de me rappeler que la gamine ne pourrait supporter mon poids. Il faudrait tenir. Un soupir, né de l’effort de la marche s’extirpa péniblement d’entre mes lèvres. Sans lui opposer la moindre résistance, je suivis son allure qu’elle modérait par égard pour moi, je le sentais bien. Ah, quelle plaie que ces sentiments contradictoires ! D’une part, c’était de sa faute si je me retrouvais comme ça. De l’autre … elle m’aidait. Elle ne m’avait pas planté là, profitant de mon incapacité à la suivre. Et ce n’était pas le moment d’être touché, bordel… Pourtant, je l’étais. Son odeur était atténuée par le parfum de mauvaise qualité dont elle s’était aspergée. Serrant les dents, je refusais d’émettre la moindre plainte, d’exprimer ma douleur autre que par mes traits blêmes et ma démarche saccadée. La pudeur irlandaise. La fierté irlandaise. Avancer m’empêchait de penser. J’étais plutôt occupé à ne pas ralentir encore notre progression, occupé à ne pas faire le mouvement de traviole qui accentuerait inutilement les douleurs qui venaient poindre près de mon flanc. Occupé à engueuler en silence mon mollet. Ne cille pas. Pas maintenant. On devait probablement nous regarder étrangement, dans la rue. Il fallait dire que nous formions un sacré tandem Lola et moi. Un éclopé et une putain dont les yeux fardés et par trop maquillés avaient permis aux traînées noirâtres de couler sur ses joues.

Jamais je n’avais mis les pieds à l’appartement des sœurs Andrews. Ce fut donc une première pour moi, et franchir le seuil me procura un bien-être d’autant plus fou que le canapé du salon semblait me faire de l’œil et m’appeler délibérément. Les derniers pas furent les plus difficiles. Lourdement, mordant l’intérieur de ma joue pour ne pas émettre le plus petit son, je me laissai tomber dans cet amas moelleux, et ma tête trouva immédiatement refuge contre le dossier confortable. Le noir de nouveau. J’entendais la voix de Lola qui appelait sa sœur. Sans réponse. Pas grave. Qu’on me laisse crever tranquillement. J’étais bien, là. Je ne demandais rien à personne et au moins, je n’avais pas à tenir compte de quoique ce soit. Juste. Du Repos. Perte des repères temporels. Il aurait tout aussi bien pu se passer deux jours jusqu’à ce que la jeune femme ne me tende un verre de whisky. Encore un. Ce maudit Jack Daniel’s aurait ma peau. Il l’avait juré, ce saligot. Ouais. Ce serait lui qui m’aurait. Pas les clopes. Pas ce bon vieux VIH. Juste Jack. Jack, c’était le nom idéal pour un tueur. Y’a bien Jack l’éventreur non ? Et puis Jack, dans Shining. Jack. Ca sonne clair, cash, direct. Tranchant. Jack. Daniel’s n’est qu’une astuce, un leurre pour rendre plus doux le nom de ce poison qui scintille dans les veines et rend leur travail plus laborieux. Ce poison qui ruine le foie et transforme la bile en liquide âcre et dangereux pour l’organisme. Elle me tendait donc un verre de Jack, et je le saisis d’une main lourde, regardant l’ambre danser au creux du verre. Lentement, comme pour saluer un vieux frère avec émotion, je le portai à mes lèvres et leur permis de tremper dans l’alcool. Avant de prendre une lampée. Puis une deuxième. La chaleur tenta de ranimer ma carcasse déjà vieille.
Au loin, Lola s’agitait. Repose-toi, petite fille. Installe-toi près de moi. Il faut qu’on cause, tous les deux, non ? Tu en as des choses à dire. Des secrets à raconter au loup, petit chaperon rouge… tu nourris celui qui mordra peut-être ta main. Sûrement aurais-tu dû te détourner et poursuivre ta route, m’abandonner en pleine rue. Pas alimenter ma soif de whisky ni te soucier de la souffrance qui me lançait de part et d’autre. Son visage m’apparut de nouveau. Les bras chargés. Elle installait tout un matériel, parodie d’infirmière aux gestes pressés et précipités, sans l’aisance experte des nurses. C’était marrant. Les rôles étaient un peu inversés, pour une fois. Je trouvais cela marrant, et un sourire engourdi étira mes lèvres. Le sofa s’affaissa près de ma cuisse. La gamine était grimpée près de moi, et déjà tentait d’effacer le sang séché qui collait encore à ma joue, remontant sur la plaie de l’arcade qui avait cessé de saigner depuis longtemps. Elle avait tort.


« J’ai pas mal … Pas à cause de toi… »

C’est cette ville toute entière qui me fait mal. Ces gens. Cette vie. Inclinant ma tête pour l’aider dans son œuvre, je ne cessais de la regarder. M’attardant sur des détails qui, d’ordinaire, seraient passés complètement inaperçus. Baissant les yeux, je me rendis compte que sa mini-jupe était remontée très haut sur ses cuisses. La commissure de ma bouche se crispa. Oh, petite fille

« Tu dois avoir froid… à te balader dans cette tenue… Lola. »

Au corps et au cœur. Mon doigt effleura son genou, à peine. Comment m’avait-elle appelé, déjà … ?

« Cow-boy… »

Un murmure. Un frisson convulsif. Mathias. Elle me rappelait Mathias.

« J’aurais dû te dire oui … Juste pour voir ta tête. »

Je parlais lentement. Tel un malade qui s’éveille après une opération, subissant toujours les effets d’une anesthésie générale récente. Un délire qui s’établissait lentement dans mon esprit, secouant mes épaules d’un rire nerveux et stupide.

« Je te l’aurais payé ta passe… Et tu aurais pu t'offrir toutes les drogues … que tu voulais. Tout. Tu es bien libre… non ? »

Je ne suis pas ton père.
Je ne suis pas ton frère.
Pas même un ami, et encore moins un amant.


« C’est bête … Je me dis que c’est bête … tout cet argent gaspillé pour ça … la drogue… l’alcool… Les filles. Mais il faut bien le dépenser quelque part… non ? »

Sollicitant sa réponse, comme si la question était primordiale et en exigeait une à tout prix. Mes doigts se refermèrent plus puissamment contre son genou.

« Tu dois m’expliquer… Tu n’as pas le choix, maintenant. On est tous embarqués… dans les mêmes histoires, tu sais. C’est juste les détails qui sont… pas pareils… Alors à quoi bon te cacher encore… hein… ? »
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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeJeu 23 Mai - 17:07

Je faisais tout de même attention, même s’il me disait qu’il n’avait pas mal. Je le pensais suffisamment fier pour me mentir à ce sujet-là tout en occultant les remarques qu’il me faisait. Si j’avais froid ou non, ça n’avait pas d’importance. Il était juste surpris de me voir comme ça, il m’avait jamais vu dans ce genre de tenue jusqu’à présent. Ca gâchait surement l’image de la petite fille sage qu’il devait avoir de moi. S’il savait…

J’essuyais à présent l’arcade qui ne saignait plus mais qui n’était pas belle à voir. Sans avoir de notion en médecine, je doutais que ça ne laisse pas de trace dans l’avenir. Je contournais son visage, passant de l’autre coté en repliant la serviette sur un côté propre. Même s’il n’y avait pas de sang, y passer un linge humide pouvait lui faire du bien. Je me souvenais que ma mère le faisait souvent quand nous étions malades enfants. Sans avoir un seul effet médical, ce simple geste avait le don de nous apaiser et nous donner une sorte de réconfort que je tentais de lui transmettre à mon tour.

Il parlait toujours - lentement certes - comme s’il avait été drogué, évoquant notre mésaventure au bar. Je ne pus m’empêcher de sourire quand il évoqua le fait de me dire oui pour la passe. Il n’avait pas tort. La surprise avait été de taille alors si en plus il avait accepté. Je repensais alors au baiser que je lui avais donné dans son cabinet et toutes les émotions qui m’avaient traversée sur le moment. S’il savait…

J’en avais terminé, essuyant une dernière fois son menton pour me reculer un peu. Ses doigts sur mon genou l’emprisonnèrent comme si ce geste pouvait à lui seul m’empêcher de m’échapper. Physiquement. Mentalement. Il voulait savoir et je me sentais pas le courage de lui échapper une nouvelle fois. Les jambes repliées sous mes fesses, je restais comme ça, tenant la serviette contre moi à la triturer dans tous les sens. Mon sourire s’était envolé et j’hésitais un moment, les yeux baissés sur le linge humide.

S’il savait tout ce qu’il y avait dans ma tête, tout ce qui se bousculait. S’il savait mes peurs, mes craintes, s’il savait cet ennui morbide qui m’habitait en permanence.

Agacé par mes propres gestes, je lançais la serviette sur la table basse, m’appuyant alors contre le dossier du canapé, la tête de côté, le fixant autant que lui pouvait me fixer.


- Je vis avec la mort tous les jours. Elle coule dans mes veines depuis mon plus jeune âge, depuis que je l’ai côtoyé lors de cette opération. J’ai vécu la mort imminente ce jour-là et elle m’a marqué au plus profond de mon âme. Je ne peux pas l’oublier, je ne peux effacer le manque qu’elle a laissé en moi…

Je me tus un instant, sans cesser de le fixer. Je pus lire pourtant comme une incompréhension flotter dans son regard, qui aurait dû surement me faire taire. Cependant je poursuivis.

- C’est plus fort que moi, je ne peux pas lutter contre ça. Elle m’attire sous toutes ses facettes, elle me nargue et je lui cède dès que je peux. Ne cherchez pas à me changer, vous ne pourrez pas. Même les meilleurs psys du monde ne pourront me guérir parce que je ne suis pas malade, je suis comme ça. Alors oui, je me drogue, parce que je retrouve ces sensations là et que je peux pas m’en passer, parce que j’ai ce besoin viscéral de me mettre en danger et que la compagnie des vampires aide énormément à me plonger dans ces états-là, surtout Mathias…

Je redressais la tête, baissant les yeux sur sa main toujours logée contre mon genou et à mon tour je posais la mienne sur elle.

- Ne me jugez pas… Ne me condamnez pas.. s’il vous plait.. Vous ne pouvez rien y faire, ce n’est pas de votre faute, vous n’êtes pas responsable. Ce n’est pas une histoire d’avoir échoué quelque part dans votre tâche de médecin. C’est juste qu’on est tous différents.. je suis différente et personne n’y peut rien.

J’inspirais longuement. C’était surement la première fois des toute ma vie que je confiais tout cela à quelqu’un. Même ma sœur n’en savait pas autant. Quelque part, ça m’enlevait comme un poids énorme mais d’un autre côté, je me demandais s’il allait être cette écoute que j’espérais. Un moment de flottement s’installa entre nous. Il devait être mal à l’aise et alors il me prenait pour une folle, qui sait. Je lui offris pourtant un sourire triste avant de poursuivre, parce que je n’en avais pas vraiment fini.

- Et puis, il y a Sarah...

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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeVen 24 Mai - 3:33

Douce et prudente avec moi, Lola m’apparaissait à nouveau telle que je l’avais toujours connue. Un brin de fille délicate et réservée, prête à rendre service et dotée d’une aura qui respirait et inspirait à l’affection la plus profonde. Le genre de gosse que l’on est capable d’aimer sans modération, de vouloir protéger quel que soit le prix à payer. Son visage marqué par un parcours unique, les sévices invisibles qu’elle avait subi. Cette insensibilité de sa main que mes yeux observaient quelquefois. La peau tirait encore aux endroits touchés et plus sensibles. Un millier de petites pointes qui piquaient inlassablement, essayant de réveiller la force tranquille qui sommeillait en moi. L’animal enragé avait disparu. Au calme. Bercé par les gestes apaisants de mon infirmière personnelle. Ses bras blancs, si blancs, attiraient le regard, ainsi que le ballet gracieux et bleuté de ses veines fines et fragiles. Je ne poussai pas l’analyse avec attention, cependant. D’abord parce que j’en étais tout bonnement incapable. Ensuite car je ne voulais pas voir les éventuelles traces de piqûres qui, immanquablement, seraient capables de s’y trouver. L’ignorance est trop belle. Et celle-ci me convient largement pour cette nuit. J’attends déjà une autre vérité, peu agréable à entendre. Pas tout à la fois, donc. Prenons notre temps. Dans ce monde où tout file vite, si vite… Trop vite. Elle souriait. Tu es tellement jolie lorsque tu souris, petite fille. Lorsque tes lèvres s’étirent, laissant apparaître des dents timides mais désireuses de montrer que tout va bien. Tu voulais toujours me prouver que tout allait bien, même lorsque je discernais le vrai du faux. Tu ne voulais pas déranger. Tu ne voulais pas inquiéter. Tu souhaitais rester petite souris, bien à l’abri dans un trou que l’on n’irait jamais dénicher. Me prenais-tu pour le chat ? Non… C’était Tara, le chat.
La petite souris sembla décidée à ne plus fuir. Sensible à mes mots, peut-être. Elle ne bougea plus, bien campée sur ses pattes qui soutenaient son poids plume. Voilà. Reste à côté de moi, little mouse. Personne ne te fera du mal entre ces murs. Nous sommes à l’abri de la crasse du dehors, du vice ambiant et des rues polluées et trop sombres pour les enfants torturées. N’esquissant pas le moindre mouvement, bien adossé et prêt à l’entendre me réciter ses malheurs, je ne retirai pas mes doigts de contre sa jambe. Elle était chaude. Et j’avais besoin de chaleur. Le froid de la fatigue menaçait de me geler jusqu’aux os. Je refusais qu’il m’engloutisse avant d’avoir réussi à comprendre comment nous en étions arrivés là.

Ses explications me laissaient dans le flou. L’expérience de mort imminente avait de quoi impressionner n’importe lequel d’entre nous, y compris les hommes les plus aguerris. Mais comment peut-on affirmer vivre en permanence en compagnie de la Faucheuse ? Je ne saisissais pas. Plisser les yeux ne m’aidait pas à faire la lumière sur cette énigme. Elle ainsi que Tara auraient dû être mieux prises en charge. C’était ce que me murmurait le médecin en moi. Ou du moins les résidus du docteur qui nageait, ou plutôt ramait entre les débris d’une conscience passablement éméchée. Un mal de tête lancinant m’empêchait d’ingérer les informations de façon aussi optimale que je l’aurais voulu. C’était agaçant. Un peu comme un bruit de fond qui couvre la moitié des mots d’un proche ami vous confiant le plus grand secret de son existence. On avait envie de se retourner et de hurler à ceux qui osaient faire du bruit de fermer leur gueule pour pouvoir prêter une oreille plus attentive, plus efficace. C’est ainsi que je passai à côté de Mathias. Je ne réalisai pas immédiatement que venait de se créer le nœud du récit. Le point de convergence de nos existences misérables. Pourquoi ? Simplement parce que je m’étais débarrassé trop rapidement de cette information livrée comme par hasard dans le bar de notre rencontre. Un patron de casino. Lui ? Sans blague. Jamais je ne l’aurais imaginé. Et visiblement, je ne l’avais pas encore ingéré. Aveugle. Inconscient.

Vampires, Humains, Chasseurs.
Tous enfouis dans le même panier puant d’avoir été trop longtemps trimballé sur le même pont. Condamnés à s’entredévorer, puisqu’incapables de cohabiter ensemble sans dommages d’un côté ou de l’autre. Il n’y a pas de spectateur à ce jeu-là. Simplement une terrible bataille du plus fort contre les plus faibles qui n’avaient qu’à courber l’échine pour ne pas subir le coup de dents de trop. Les faibles sont pitances. Les forts s’emplissent la panse. Encore remué, sonné de mon accident, j’avais abandonné le détail primordial concernant les activités de Lola… ainsi que les miennes. Je ne tendis pas la main à la coïncidence, ou à l’inverse : ne pris pas la peine de serrer les doigts qu’elle m’offrait, les regardant s’échapper d’un coup d’œil distrait. A la place, la paume de Lola s’était nichée sur la mienne. Ces petits doigts me faisaient sourire aussi tristement qu’elle. Je la décalai pour réussir à caresser sa peau à l’aide de mon pouce, tendrement.


« Je n’ai jamais cherché à te changer. C’est ce que toi, tu n’as pas voulu … comprendre. »

On ne change pas les gens ni leur nature. A trente-sept ans, je n’avais plus la naïveté ni la foi cocasse de ma vingtaine flamboyante et encore remplie d’idéaux tous plus charmants les uns que les autres. Charmants, mais voués à l’échec, destinés à s’écraser aussi lamentablement qu’un planeur sans pilote.

« Je voulais t’aider à sortir de ton cercle… Ton cercle vicieux… Parce que plus l’on est jeune, plus l’on a des chances… des chances de s’en sortir, tu vois … ? Moi je m’en suis sorti… Alors je me suis dit que toi aussi tu pourrais… Et puis tu n’étais pas seule. Tu avais Tara. »

Tara, et la rançon de la gloire, certes. Mais elle restait un soutien tout de même. Ce n’était pas négligeable. Pour autant.

« J’ai cru aussi que tu voulais y arriver. Chaque fois que tu venais au cabinet… Tu ne rechignais jamais… »

Je ne songeais pas aux psychiatres. Je ne croyais pas en leur « science » qui pour moi était trop aléatoire, en comparaison avec mes propres études solides de médecin.

« On ne s’en sort jamais que par soi-même. De toute façon. C’est comme ça … Et si tu ne veux pas t’en sortir, alors non … tous les efforts seront vains. Y compris les miens... »

Ramenant une jambe contre mon torse, je soutins mon bras contre ma cuisse, afin de ne plus avoir à tirer sur ma clavicule. Un soupir encore prudent me fit frémir.

« Je t’ai toujours dit … que je ne te jugeais pas. Je te l’ai dit, hein ? Souvent. Je voulais juste savoir … pourquoi tu m’avais menti… embrassé… et j’avais cru que tu me racontais des histoires. Tout ça c’est … ça tourne un peu, tu comprends ? »

Je rompis le contact avec elle pour frotter mes yeux rougis par la fatigue et l’alcool.

« Qui est Sarah… ? »
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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeVen 24 Mai - 10:35

Je l’écoutais à mon tour m’expliquer ce qu’il en était pour lui, ce qu’il avait pensé, voulu. Il ne me jugeait pas, ne l’avait jamais fait. Il voulait juste m’aider. Alors pourquoi m’engueuler ce soir quand il m’avait découverte ? Je ne disais rien, mon regard allant de son visage que je détaillais, ses yeux rougis, les lèvres qui bougeaient au ralenti, à ses doigts sur ma main, ce pouce qui caressait ma peau. Il ne se rendait pas vraiment compte de la situation. Je n’avais pas le choix de m’en sortir ou non, j’étais condamnée à le vivre, cela me brulait les veines à chaque instant. Alors la volonté de s’en sortir…

- Je ne peux pas…

Quelques mots murmurés si faiblement. Je n’étais même pas sure qu’il les entende. Il poursuivait le fond de sa pensée et ses doigts quittèrent les miens. A regret. Je me sentais tellement mal, esseulée. Ses mots m’avaient quand même laissé cette impression terrible de me prendre une gifle à nouveau. Je baissais le nez sur mes doigts seuls, mon pouce avait remplacé le sien, frottant ma peau doucement, glissant ensuite dans le creux de ma paume insensible. Je ne sentais rien et je me demandais parfois si l’insensibilité n’avait pas grandi avec les années, touchant mon bras… mon cœur peut être ? Pourquoi je n’avais jamais été capable d’aimer quelqu’un, d’éprouver le moindre sentiment ? Ma sœur passait son temps à s’amouracher de mec en tout genre. A chaque fois c’était le grand amour qu’elle attendait, jusqu’au prochain qui entrait dans sa vie. Elle débordait tellement d’énergie, de vie, d’amour, comme si elle en avait pour deux. Pour deux. C’était encore cette même histoire qui revenait. Elle vivait pour deux et moi je ne vivais pas.

- Je ne voulais pas vous inquiéter… vraiment… et donner raison à ma sœur. Je ne voulais pas qu’on m’observe au microscope comme un rat de laboratoire. Je ne suis pas une ado à tendance suicidaire. Si j’avais vraiment voulu mourir, ça serait déjà fait, vous ne pensez pas ?

Alors si je me prostituais autant c’était peut-être aussi pour me rassurer d’être quelque part une fille normale, non ? Si les hommes pouvaient me désirer c’était me raccrocher à cette réalité qui n’était pas la mienne et qui ne le serait jamais.

- Je flirte avec la mort, c’est différent. Elle m’accompagne et j’ai besoin de l’avoir à mes côtés. Je me sentirais vide sinon.

Déjà que je l’étais suffisamment. Vide. Vide d’émotion. Vide de sentiment. Oh, j’en avais pourtant quelques-uns. Ma sœur je l’aimais. Mes parents aussi, je les avais aimés. Mais eux, ils avaient été là depuis le début, c'était inscrit dans mon passe pour la vie. Et puis Ben, c’était différent, c’était un allier, un des rares que je pouvais avoir. Mais en dehors de ça, c’était le vide intersidéral. Ma gorge se serra et mes yeux se remplir de larmes. Pleurer, c’était bien tout ce que je savais faire au fond. Lentement les larmes coulaient sur mes joues sans que je ne les retienne, sans même m’en préoccuper. Mon regard toujours focalisée sur ma paume morte.

- Je vous ai embrassé parce que… j’ai pas réfléchi… je voulais pas vous heurter pourtant... c’était pour détourner l’attention, j’avais peur que vous me pensiez trop atteinte au point de m’hospitaliser… ma sœur vous aurait donné raison.. j’ai paniqué je crois…

Cela avait été un geste d’autoprotection avant tout. Comme si une alarme s’était déclenché en moi au point de me faire réagir coute que coute et par n’importe quel moyen.

- … et j'en avais envie…

Nouveau murmure. Je le réalisais maintenant que j’avais aimé cela. C’était ridicule pourtant et presque honteux. Embrasser son médecin, sans blague, fallait vraiment n’avoir aucune morale pour ça. Mais en avais-je encore une pour faire tout ce que je faisais ? Je relevais les yeux sur lui, ma main venant essuyer ma joue furtivement et le noir qui coulait encore, m’en mettant alors partout sur les doigts.

Et puis maintenant, Sarah. C’était toute une histoire à elle seule et surement la plus difficile à comprendre.


- Sarah c’est… une histoire compliquée. Je ne sais pas qui elle est. Elle est juste arrivée à ce moment-là, quand j’allais partir. C’est elle qui m’a fait revenir parmi les vivants y’a 16 ans. Elle est mon étoile et depuis je l’entends, elle me parle, elle vit dans ma tête… Et lui aussi l’entend, je crois.. mon boss… et on dirait qu’il la connait mais j’en sais pas plus. Elle me protège comme elle peut…

Un résumé des plus aberrant qui n’expliquait pas grand-chose en fait. J’étais parfaitement consciente qu’il allait me prendre pour une folle. Pinçant les lèvres, les mots ne venaient plus. C’était surement mieux ainsi. Frottant mes doigts noircis, j’observais ma tenue comme si je la découvrais pour la première fois. Ma jupe avait remonté si haut qu’elle ne cachait plus vraiment grand-chose. Mes collants déchirés étaient bon pour la poubelle. Et je devais être affreuse avec tout ce soir qui avait coulé.

- Vous voulez manger quelque chose ? Boire ? .. Je vais aller me changer…

Quittant le canapé, je me relevais.

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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeSam 15 Juin - 23:55

Ainsi, Lola avait choisi la voie de la perdition. Sa volonté était mourante depuis longtemps. Et je n’avais pas su la voir. Malgré toute mon expérience, toute ma connaissance du genre humain, je m’étais enfoncé dans le crâne que tout n’était pas désespéré. Quelle blague, à bien y penser… Cela me rendait triste. Tout ce temps, cette énergie dépensée… pour quoi, au final ? Elle ne peut pas. Et si en mon for intérieur, je me révolte de la voir aussi résignée, décidé que je suis à la sortir du marasme, mon état de faiblesse actuel me hurle que tout est vain. Que Lola ne s’en sortira pas, et qu’elle continuera de s’enfoncer sur ce chemin marécageux. Ses explications ne me réconfortaient pas, bien au contraire. J’aimais bien trop la vie pour que son discours résonne en un écho compréhensible à mes yeux. Je la laissai parler, n’ayant pas le courage de l’interrompre. Chaque fin de phrase me faisait serrer les mâchoires. Flirter avec la mort. Envie de m’embrasser. Sarah…  Cela faisait beaucoup à encaisser en peu de temps. Physiquement, et moralement. Je me sentais au bout pour ce soir, et cependant, pas un seul instant mon attention n’en eut souffert. Je retins tout. Je gravai tout, dans ma mémoire. Parfois je la regardais. Je regardais son joli visage sali par le noir du mascara. Sa mine défaite. Ses vêtements trop courts et trop moulants. Ce fut peut-être ce tableau d’elle, terriblement concret, qui m’empêcha de ressentir la peur que ses mots m’inspiraient. Par pudeur, je finis par détourner les yeux. Elle se releva et, avant de la voir disparaître, je repris d’une voix rauque :

«  Je suis médecin. Je suis là pour savoir s’il faut que je m’inquiète ou non du bien-être de mes patients… que tu le veuilles ou non, c’est un fait. Ce n’est pas au patient de mentir pour préserver le médecin. Je vois bien pire comme cas, chaque jour. Quant à Tara… tu as décidé de mettre ta santé en danger simplement par fierté vis-à-vis de ta sœur ? J’espère que non, Lola. J’espère vraiment que non. Je ne t’ai jamais cru suicidaire, et je ne suis pas psychiatre. Jamais je n’ai souhaité te disséquer comme un rat de laboratoire. Ce n’est pas mon travail. C’est celui d’autres parmi mes collègues, et je n’en fais pas partie. Je croyais que tu savais au moins ça. Mais bon… Ce qui est fait est fait, je suppose. »

Que d’amertume dans cette simple phrase. Quand on ne peut revenir en arrière alors qu’il s’agirait de notre unique désir. Si j’avais pu prendre le mal à la racine… Dépité, je secouai la tête.

«  Comment est-ce qu’à ton âge, tu peux encore te complaire dans des pensées aussi morbides ? Est-ce que tu t’entends parler ? Tu te sentirais vide sans la mort à tes côtés ?  Tu aimes la compagnie des ennuis et de tout ce qui t’attire vers le fond ? Il n’y a que comme ça que tu peux te sentir heureuse ? Tu ne me feras pas gober ça … Pas à ton âge, Lola. Je suis désolé. »

A mon tour, je me remis debout, les membres encore flageolants. Comme je la connaissais, elle risquait de se sentir blessée par mes propos qui, pourtant, n’étaient que la plus sincère pensée d’un homme qui la côtoyait depuis longtemps maintenant. La toisant de toute ma hauteur, je soupirai en la couvrant d’un regard mêlant compassion et pitié.

«  Tu as mis ma confiance en toi en jeu… Est-ce que tu t’en rends compte ? »

Volontairement, j’éludai cette partie où elle avait révélé avoir eu envie de m’embrasser. Trop de questions, dont les réponses n’étaient peut-être pas forcément bonnes à entendre, en découleraient. Et la situation était déjà assez complexe et pénible pour nous deux comme ça. Car si ce qu’elle m’avait raconté à propos de Sarah était à prendre en considération… alors ce n’était plus de mon ressort… Une pathologie mentale, je n’aurais pu la gérer. Une gamine qui entend des voix, je ne peux pas le comprendre ni la traiter en conséquence. J’ai peur. Peur pour son avenir que je pressens noir, d’une opacité telle qu’elle en effraierait les plus optimistes. Cette angoisse, sourde, s’est coulée dans mes veines, s’est répandue tel un poison. Il faudrait que j’en parle à quelqu’un de compétent. Il le faudrait. Et en même temps … tout cela en vaut-il vraiment le coup ? Ma tête me fait mal, mon crâne subit l’équivalent de coups de marteau à répétition.

«  Je … Ne t’en fais pas, je ne veux pas te déranger plus longtemps, Lola. C’est gentil à toi de m’avoir permis de récupérer un peu… Peut-être que je devrais appeler un taxi, ça me faciliterait la vie. »

Je n’aimais pas fuir de cette façon. Mais un nouvel éclat ou d’autres larmes coulant sur ses joues ne me réjouissaient pas davantage.

« Mais merci de t’être expliquée… »

Au moins, la messe était dite. Je repartirai avec des explications qui apaiseraient les interrogations multiples au sujet de la petite Andrews.

«  J’imagine… que je ne te reverrai pas avant longtemps … ? »  
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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeMer 3 Juil - 17:09

Ses mots volèrent vers moi avant que je ne passe la porte, m’arrêtant net sur le champ. Pourtant je ne me retournais pas, l’écoutant parler, l’écoutant me confier ses doutes et son ressenti après tout ça. Je pouvais sentir de l’amertume dans ses propos, surement que la réalité telle que je la lui avais dite dépassait ses bonnes théories de scientifique. Surement qu’il se trouvait pris au dépourvu après m’avoir entendu et qu’il était loin d’imaginer tout ce qui se tramait dans ma tête. Surement aussi qu’il me prenait pour une folle ou une illuminée, trop accro à la drogue pour penser sérieusement à se soigner. Surement même que je l’avais déçu quelque part, au fond, oui tout au fond là où ça fait mal quand on appuie dessus.

Il avait du mal à encaisser tout ce que je venais de lui dire, je le ressentais dans chacun de ses mots et même si pour l’heure je ne le regardais pas, je pouvais sentir son regard planté dans mon dos. Je restais pourtant là, tête baissée, incapable de sortir un son de ma gorge pour se voulait désespérément muette. J’aurai voulu qu’il comprenne, mais qu’il comprenne vraiment et pourtant cela me semblait tellement irréaliste en somme.

Le canapé grinça et je compris alors qu’il se levait. C’est à ce moment-là que je choisis pour me retourner vers lui alors qu’il se rapprochait de moi. Son regard brillait d’une étrange façon et j’aurai parié y lire de la pitié. Tout ce que je refusais d’y voir finalement. Sa confiance en moi s’en trouvait ébranlée. Je me doutais bien qu’après une telle soirée les choses ne seraient plus vraiment comme avant. Je baissais les yeux, incapable de soutenir les siens plus longtemps.

Il souhaitait s’en aller. C’était surement mieux ainsi. Je ne me voyais pas lui parler encore de tout ça et je sentais bien que le malaise était toujours là même s’il me remerciait de m’être expliqué à ce propos mais aussi de l’avoir aidé. J’haussais doucement les épaules avant de répondre à cette dernière partie.


- Je vous en prie, ça m’a fait plaisir et puis… je pouvais pas vous laisser comme ça…

Je relevais les yeux, cherchant quoi faire pour l’aider, lui désignant du menton le téléphone mural qu’on apercevait dans l’entrée.

- Vous pouvez téléphoner mais je ne vous chasse pas pour autant. Si vous voulez rester encore un peu, cela ne me dérange pas du tout…

L’esquisse d’un sourire effleura mes lèvres avant que je ne me tourne pour finir ce que j’étais partie faire, mais les mots qui suivirent me firent sursauter, me coupant à nouveau dans mon élan.

- J’imagine… que je ne te reverrai pas avant longtemps … ?
- Comment ça ?

Je me retournais à nouveau. Surprise. Perplexe. Qu’est-ce qu’il sous-entendait par-là ? Le dévisageant longuement, je finis par comprendre ce à quoi il faisait allusion. Il pensait vraiment que je ne retournerai pas le voir ? Il pensait vraiment que je lui aurai confié tout cela si c’était pour aller chez un de ces confrères ensuite ? Surprise, je me reculais, m’appuyant contre le mur tout près.

- Je ne compte pas changer de médecin si c’est ça qui vous inquiète…

Les mains dans le dos, je restais debout, levant à peine les yeux vers lui.

- Vous êtes bien le seul à qui j’ai raconté tout ça, même ma sœur n’en sait pas autant… Ne sous-estimez pas la confiance que je vous porte, même si la vôtre en a pris un coup…

Je me mordis la lèvre, sous le coup de l’émotion. J’aimais pas l’idée qu’il soit déçu mais je ne pouvais pas faire grand-chose contre ça.

- Je reviendrai…

Quand, j'en savais rien. Mais ce n’était pas une promesse, c’était une certitude. Parce que maintenant qu’il savait, peut être que ce serait plus facile pour en parler. C’était une éventualité qui ne m’avait pas traversé l’esprit jusqu’à présent mais que j’envisageais tout d’un coup d’un œil différent. Du moins, je l’espérais…
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MessageSujet: Re: La mort dans les yeux [Ian]   La mort dans les yeux [Ian] I_icon_minitimeDim 15 Sep - 22:21

Elle n’osait pas me regarder dans les yeux. Je ne lui en voulais pas. Il n’y avait rien à dire, rien à faire de plus. C’était la fin d’une époque, la fin d’une pensée. Et le début d’une remise en question sérieuse. J’avais conçu peut-être trop d’orgueil, me répétant qu’à trente-sept ans, je commençais à avoir suffisamment de bouteille pour me blinder totalement et surtout, me blaser face à la parfois détestable manie de l’humain à s’enfoncer au fil d’un chemin dont il ne peut revenir malgré tous les efforts du monde. Lola se trouvait sur l’un d’eux. Un suivi psychiatrique ? La gamine s’y refuserait. Et je crois sincèrement que la volonté d’un être à guérir est la responsable d’au moins cinquante pour cent de la guérison de ce dernier. Sans cela, il n’y a pas de lutte. Il n’y a pas de bataille contre notre pire ennemi… : nous-mêmes.
Je n’aspirais qu’à rentrer chez moi, à m’étendre sur mon lit après avoir réparé autant que faire se pouvait les dégâts… et puis réfléchir. Revoir à la baisse mes espérances concernant l’Homme et ses aptitudes à faire les bons choix. Qui étais-je pour estimer qu’il avait sa vie, son destin entre ses mains ? J’aimais me targuer de mon propre exemple. Depuis toujours, je m’estimais responsable de mon existence de bout en bout … Parce que je l’avais choisie. J’avais œuvré dans le bon sens. J’avais avancé, depuis le plus jeune âge. Pour réussir, encore faut-il s’en donner les moyens… non ? Non. Les gens aiment à se trouver des excuses. La malchance. La fatalité. Mon visage se tourne vers le téléphone qu’elle me désigne. Le masochiste que je suis aimerait presque rentrer à pied finalement, plutôt que de solliciter un taxi. Marcher encore juste assez pour finir de m’épuiser et ne plus avoir à penser. M’écrouler comme une masse à l’arrivée chez moi… et ce serait fini.


«Ne t’en fais pas. Je vais me débrouiller avec mon téléphone... »

*S’il vit encore.*

Visiblement, je l’avais surprise. J’arquai légèrement les sourcils. Croyait-elle que nous nous reverrions la semaine prochaine comme si de rien n’était ? Non. Certainement pas. Sa réponse, presque naïve, me tira un sourire triste. Je secouai la tête, constatant l’émotivité extrême de la jeune femme, que je connaissais si bien. Je ne voyais plus tellement d’avenir, dans tout cela. Reprendre une relation professionnelle ? Ce serait faire abstraction des mensonges passés. Difficile. Reprendre une relation insufflant une dimension humaine qui était devenue naturelle avec les années ? Pourquoi pas, mais là encore je me voyais mal fermer les yeux sur la double vie de Lola qu’elle venait enfin de révéler à mon attention qui, peut-être, n’avait pas voulu voir la réalité en face.

«Je ne m’inquiète pas. Je vais … cesser de m’inquiéter un peu, je crois.»

C’était lors de situations comme celles-ci que je comprenais mes confrères plus âgés. Ceux auxquels je reprochais d’oublier le nom de leurs patients. Ils étaient fatigués. Tellement fatigués de ce genre humain ingrat, qui allait à l’encontre de tous les soins que nous étions prompts à leur dispenser. Maintenant, je comprenais. Cette envie de tout envoyer balader, d’envoyer valser le monde et de se contenter d’aller à l’hôpital tous les jours en encaissant son salaire substantiel à la fin du mois. Tellement simple. Tellement facile.

«Je te remercie de ton honnêteté, même tardive. Je ne dirai rien à personne, évidemment. Secret médical oblige.»

Je préférais me cacher en effet derrière l’ombre du toubib. Pour moi, il y avait nécessité de prendre un peu de recul et surtout, un peu de repos. Beaucoup de repos.

«J’ai besoin … d’un peu de temps, Lola.»

Je vacillais. C’était le moment de partir avant que sa sollicitude ne me retienne et que les choses se compliquent. Elle reviendrait. La belle affaire.

«Si tu reviens… Je ne sais pas ce que je pourrais faire de plus. Visiblement… Tu as déjà choisi.»

Sans réel reproche dans ma voix, la déception était tout de même là. Forcément. J’eus du mal à conserver mes lèvres étirées en un simulacre de sourire avant de faire demi-tour vers la porte, rassemblant mes forces pour me préparer psychologiquement à faire la route. Je n’eus pas le courage de lui lancer mon «  A bientôt ! » traditionnel, lorsque je franchis le seuil de son appartement sans un regard en arrière.
Je n’en avais jamais omis un depuis le premier jour où ses prunelles bleues s’étaient posées sur moi.
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La mort dans les yeux [Ian]
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