Mauvaise graine (pv Ian)



-40%
Le deal à ne pas rater :
Tefal Ingenio Emotion – Batterie de cuisine 10 pièces (induction, ...
59.99 € 99.99 €
Voir le deal

Partagez
 

 Mauvaise graine (pv Ian)

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Anonymous
Invité
MessageSujet: Mauvaise graine (pv Ian)   Mauvaise graine (pv Ian) I_icon_minitimeMar 29 Juil - 17:24

Ses ors et ses cuivres scintillent dans ce qui reste de lumière diurne, les ombres vont bientôt recouvrir l’entièreté de la ville. Alors elle en allumera d’autres, plus factices encore, la trompeuse citadine, parmi lesquelles se perdront un nombre incalculable d’âme fragiles. Pauvres insectes fascinés par ses flammes. Mais toutes les parures clinquantes qu’elle utilise, je les connais par cœur et ne tombe plus dans ses pièges éhontés. Il y a toujours des errants pour s’y perdre hélas, éblouis par les beautés qu’elle met en avant. Mon rôle ingrat consiste à leur éviter Charybde avant qu’ils ne se jettent d’eux-mêmes en Sylla. Je fais de mon mieux, ce qui est loin d’être suffisant pour leur sauver la vie. Tandis que mes yeux tristes s’abiment depuis la fenêtre dans l’observation des transformations extérieures, monte un brouhaha suraigu du couloir. Je n’y prête qu’une attention distraite, tellement coutumière des bavardages incessants de mes élèves. La tolérance à ce genre de bruit diffère d’une personne à l’autre, la mienne est assez haute, question d’habitude. Un sourire se dessine en coin sur mes lèvres, sans détourner du spectacle de la nuit naissante, j’entends la voix irritée de Frederik surnager tant bien que mal sur les vagues sonores. Les voix fluettes des jeunes filles lui ont toujours tapé sur les nerfs. Dommage qu’il n’ait trouvé que ce job, ses oreilles ne sont aucunement épargnées et ce tous les après-midis de l’année.

-Mesdemoiselles ! S’il-vous-plait ! Calmez-vous, parlez moins fort !

Elles lui adressent à peine un regard entre deux exclamations surexcitées, ce qui incite le gardien de mon école de danse à hausser le ton de manière théâtrale. Il recommence sa tirade à la limite de s’époumoner. Pour un résultat nul une fois de plus. Je décide d’abréger ses souffrances, et puis il serait grandement temps de se mettre au travail. La répétition demandait la totalité de mes danseuses, leurs diverses activités du jour m’ont obligée à les réunir en ce début de soirée. Elles ne partiront que lorsque la Lune sera bien avancée dans le ciel. Je n’aime pas ça, les parents non plus. A Seattle, il n’est jamais sécurisant de circuler la nuit.

-Les filles ?...

Silence complet, toutes les figures juvéniles se tournent vers moi dans l’attente des consignes. J’adore faire ce petit effet. Freddy pousse à soupire à fendre le granite tout en levant les bras au ciel, secouant vivement la tête devant son échec. Bah, il n’a jamais eu une once d’autorité, un jour il daignera l’admettre. En attendant, les élèves lui vouent une affection taquine et ne sauraient se passer de sa présence complice auprès d’elle. Chacun sa place. Il s’éclipse afin de ranger les quelques accessoires laissés au sol par le cours précédent, cherchant le réduit rassurant qui lui sert de bureau. Il s’agit d’une remise aménagée mais cela suffit amplement à satisfaire son besoin de tranquillité.

-Bien, il va falloir s’activer parce que nous n’aurons que deux répétitions ensemble, le temps presse un peu. Je sais que vous êtes toutes très enthousiastes à l’idée de participer à ces auditions mais je vous demanderai un gros effort de concentration. Sinon, il y en a plus d’une qui sera déçue après-demain. Allons ! Commencez vos étirements.

Des sourires radieux accrochés à leurs visages charmants, les joues en feu, elles sautillent littéralement à chaque pas, s’éparpillent comme des oiseaux en vol à la fin de ma phrase. Je ne peux que les couver de regards attendris, tant de fraîcheur et d’espoir dans ces corps graciles en mouvement. La plupart de ces filles sont tout juste sorties de l’enfance, la plus jeune vient de dépasser les dix-huit printemps, la plus âgée d’elles toutes ne cumule que vingt-deux années sur cette Terre. Une œillade circulaire, experte, me permet de juger leurs postures. Certaines n’ont pas quitté la tenue impeccable qu’exige le cours de danse classique, arbore encore leurs chignons serrés, d’autres ont voulu être plus disons…dans le ton. Elles postulent pour une place dans le clip vidéo d’un assez célèbre groupe de rock. Et d’ailleurs….non mais ça ne va pas du tout !

-Anjali ! Je doute qu’on t’ait laissée sortir vêtue comme ça ce soir. Tu t’es changée, hein ? C’est un peu trop…dénudé, tu vois ? Va remettre ton justaucorps!

Le front penché en position d’attaque muette, ainsi qu’un bélier qui n’ose pas, la gamine me sert un des regards assassins dont elle a le secret. Du plus noir des noirs. Il ne faut pas contrarier Anjali. Jamais. Elle ne supporte que très difficilement qu’on n’aille pas dans le sens de ses lubies. En pestant entre ses dents, mâchoires serrées par la colère, elle s’exécute, oh oui. Une chaise qui a le malheur de se trouver sur sa route est envoyée valser dans les airs, manquant de peu ma jambe au passage. Pourvu qu’elle aille bien dans les vestiaires, qu’il ne lui prenne pas la fantaisie de bouder la répétition sur un coup de tête. Je préviens le gardien de mon absence momentanée, un grognement mécontent m’est offert pour seule réponse mais il a compris l’idée, puis j’emboite le pas de ma jolie rebelle. On ne peut vraiment en vouloir à Anjali Baseema pour ses explosions de mauvaise humeur, elle a des circonstances atténuantes, la pauvre. On peut essayer de la comprendre, atténuer ses excès par de belles paroles, mais jamais au grand jamais la laisser dériver loin du règlement. Avec elle, ça irait top vite vers la délinquance, trop de modèles négatifs ont rôdé autour d’elle depuis sa tendre enfance. D’origine Pakistanaise, elle a fui les violences de son pays, celles régulières de son père surtout, sous l’impulsion de sa mère. L’Amérique et ses enivrantes promesses. La famille réduite n’y a trouvé en réalité qu’une méfiance teintée de mépris. Dans sa classe, les autres enfants l’appelaient Taliban sans vraiment connaître la signification de ce terme, ni les réalités tragiques qu’il recouvrait. Les adultes épiaient et critiquaient le comportement de sa mère, ainsi que l’évolution de ses relations dans le quartier. Entre médisances et haine de l’étranger. Un jour, on ne sait comment Mr Baseema a débarqué à Seattle avec des airs de fou furieux, se prétendant déshonoré par l’abandon des deux femmes. Ces catins perverties par l’Occident. Il a poignardé sa propre femme sous les cris hystériques de la petite avant de lui trancher la gorge. Fort heureusement, il a fini par être arrêté. Anjali séjourne à présent isolée des siens dans un des foyers de la ville.

-Je sais que tu veux mettre toutes les chances de ton côté, mais ce n’est pas la bonne solution. Mise plutôt sur tes talents de danseuse, je t’assure. Tu es une des meilleures de cette école, j’ai confiance en toi. Et puis si tu n’es pas prise, ce n’est pas un drame. On aura d’autres occasions, ne t’en fais pas… Dépêche-toi, les filles t’attendent.

Les perles salines au coin de son œil trahissent sa rage. Non, elle ne supporterait pas d’échouer à cette audition, elle a tellement à prouver au monde. Un élan d compassion m’attire vers elle, son recul instinctif de petit animal blessé me remet sur la bonne voie. Anjali ne tolère aucun contact physique, ce qui lui pose aussi quelques soucis selon les chorégraphies qu’on lui enseigne. Son geste trop brusque pour retirer le vêtement couvrant fait tomber un objet rectangulaire de son sac. Le son mat m’indique qu’il est en cuir. Le visage de mon élève blêmit en un instant, pas besoin de chercher plus avant, j’ai compris.

-Tu as recommencé ?! La dernière fois, la dame a failli de traîner jusqu’au commissariat et ça ne t’a pas servi de leçon ?!
-Je…mais…c’est plus fort que moi, Elen ! Et puis…et puis, il n’a rien vu, c’était sur le comptoir de la pharmacie…

Au début, je pensais que c’était une sorte de jeu. Le goût du risque, des idioties d’adolescente qui brave les interdits. Ou qu’elle narguait les gens possédant tout ce qu’elle n’aurait jamais. Qu’elle se coulait dans le rôle de mauvaise graine, puisqu’on ne lui prédisait qu’un avenir des plus sombres. Les mois se sont écoulés, ces habitudes n’ont fait qu’empirer. C’est devenu maladif, Anjali vole pour combler un énorme vide. Je ne peux l’excuser ni me fâcher après elle. Comme il m’est compliqué d’en parler avec les responsables du foyer sans qu’elle n’en subisse de lourdes conséquences. D’une main leste, je ramasse le portefeuille en quête de l’identité de son propriétaire. La photo et le nom inscrit sur les papiers me griffent le dos d’un lancinant frisson. Non, c’est pas possible !

-Tu as regardé à l’intérieur ? Tu sais à QUI tu l’as pris ?! Anjali, c’est un des avocats les plus en vogue de la ville ! Et c’est un vampire !

Le plus véreux probablement, un des types qui n’hésitent pas à retourner leur veste contre une juste cause, pour leur plus grand profit. Ma danseuse se fond en excuses inintelligibles, gémit, tremble, en un concert relativement pitoyable. Je ne peux l’envoyer rendre l’objet, ce serait une catastrophe. La voilà qui s’assoit pour sangloter bruyamment sur un banc. Mes doigts se déposent sur ses cheveux en une caresse apaisante. Je crois qu’on ne finira pas cette répétition ce soir.

-Ecoute, je m’en charge. Cesse donc de pleurer, je vais le voir dans son cabinet. Dire que je…je ne sais pas, je l’ai trouvé dans une ruelle. Tu n’as rien retiré dedans au moins ? Non ? Parfait. Allez, va t’échauffer dans la grande salle. N’y pense plus, ce n’est pas si grave après tout…

Là, on ne peut pas dire que je crois franchement à ce qui vient de sortir de ma bouche. Mais la jeune fille m’envoie un timide sourire en récompense pour ma tentative et file rejoindre ses compagnes sur la musique rythmée qui commence. Un soupire fatigué s’enfuit de mes lèvres indécises. Tout de suite, c’est plus prudent. Pourvu qu’elle m’ait en effet dit la vérité, qu’elle n’ait pas soulagé le vampire d’une liasse de billets. Ce serait un fait aggravant. Ma collègue Susannah me remplace au pied levé auprès des filles, par chance, nous sommes plusieurs professeurs de danse dans cette école, ce qui me permet quelques libertés d’action. L’adresse est notée sur un post-it collé sur son bureau, qu’elle sache où me rend en cas de pépins. C’est souvent vital. Me traverse l’envie de téléphoner à ma chère Alice, sa présence solidaire et efficace ne serait pas de refus vu les circonstances. Pas le temps, elle peut être en banlieue à l’heure actuelle, je ne pourrais pas attendre. Je me change rapidement afin de passer inaperçue tout en conservant la fluidité de mes mouvements. Une simple robe légère cachera néanmoins deux fines lames le long de mes cuisses. C’est un peu médiocre comme équipement, mais le reste du matériel est enfermé dans mon appartement. Désorganisée comme toujours. J’espère ne pas avoir à m’en servir aujourd’hui. Les vilénies de la nuit semblent m’assaillir une fois sur le trottoir, je les sens, en devine la couleur jusque dans les ombres. Quelques rues désertées sous le dais piqueté d’étoiles, la tension monte d’un cran à la lecture de la plaque dorée étalant le nom célèbre en lettres vernissées.

Elle serait autrement plus forte si je savais déjà qu’un court laps de temps après ma sortie de l'école, Anjali avait faussé compagnie à ma collègue, pour foncer en douce s’accuser aux yeux du vampire à ma place…
Revenir en haut Aller en bas
 
Mauvaise graine (pv Ian)
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
 :: Hors-Jeu :: Ian-